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La bourse ou la vie ?

La bourse ou la vie ?

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C’est une première aux États-Unis. Depuis le mois de décembre dernier, l’eau californienne est devenue un produit financier et peut désormais s’échanger en bourse. Une financiarisation qui n’est pas sans poser de questions. 

Sophie Danger @sofdanger Illustration © Mathieu Persan 

On pense d’abord à Los Angeles, à San Francisco ou à Beverly Hills. Viennent ensuite les images de ces gigantesques boulevards plantés de palmiers et invariablement baignés de soleil ; celles de ces plages sans fin, sans oublier, bien sûr, Hollywood. Bienvenue en Californie ! Ce vaste territoire de l’ouest des États-Unis a su construire sa légende à grand coups de glamour et de dollars jusqu’à incarner, à lui seul, une certaine idée du fameux rêve américain. Mais derrière la carte postale, une autre facette, moins connue : celle d’une région fertile, peuplée d’immenses fermes où l’on pratique, de manière intensive, l’élevage et l’agriculture. 

C’est là que le bât blesse : ces activités sont très gourmandes en eau. Or, le Golden State, victime de très nombreux épisodes de sécheresse, commence sérieusement à en manquer. Une raréfaction de la ressource qui n’est pas sans incidences, notamment sur son prix. Pour tenter de remédier à cette situation, la Chicago Mercantile Exchange (CME), principale bourse à terme du pays, a décidé de lancer, en décembre dernier, des contrats à terme variant selon un indice fixé par le NASDAQ2. 

Certains disent que la seule façon de protéger la nature, c’est d’arriver
à lui donner un prix. Pour faire simple, l’eau californienne est dorénavant considérée juste comme une marchandise que l’on peut échanger sur les marchés financiers, au même titre que le blé ou le pétrole par exemple. Ce simple fait de lui donner une valeur devrait permettre, selon certains spécialistes, d’en limiter, à terme, la pénurie. « C’est un gros débat chez les économistes de l’environnement, reconnaît Yamina Tadjeddine Fourneyron, économiste, professeure d’économie à l’Université de Lorraine. Certains disent que la seule façon de protéger la nature, c’est d’arriver à lui donner un prix. Lorsque les gens verront que l’on détruit de la valeur, ils prendront peut-être au sérieux la nécessité de la respecter. C’est ce qui a contribué, entre autres, à la création des fameux droits carbone. » 

Le prix de l’eau à l’épreuve de la spéculation 

Souci néanmoins, et il est de taille : introduire l’eau en bourse autorise dès lors tout un chacun à spéculer dessus. Un cas de figure que connaît déjà l’Australie, pionnière en la matière, avec, pour conséquences dramatiques, la disparition progressive des petites exploitations dont les ressources financières ne permettent pas de résister aux fluctuations du marché. « Faire prendre conscience aux gens qu’il y a une valeur à l’eau est intéressant, avance Marielle Montignoul, chercheure en économie à l’UMR G-Eau – INRAE. Mais ce qui me choque dans ces dispositifs, c’est qu’elle va revenir au plus offrant. Or, est-ce que l’on a envie, en prenant un cas très extrême, qu’une seule personne dispose de l’eau ? Qui plus est, c’est un système qui, d’un point de vue conceptuel, ne va pas très bien. L’eau, en effet, n’est pas le produit d’un labeur, elle a été donnée gratuitement au départ. Ce dispositif montre donc la valeur de l’eau mais une valeur fictive, spéculative. » 

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« Que les choses soient claires, objecte Yamina Tadjeddine Fourneyron : on a déjà introduit une valeur de l’absence d’eau puisqu’il existe des assurances sécheresse. » En d’autres termes, l’eau, pourtant consacrée comme un droit humain universel par l’Organisation des Nations Unies, a déjà un prix. Mais au lieu de se prémunir financièrement contre son éventuelle insuffisance par le biais d’un contrat d’assurance, les agriculteurs peuvent, via ce mécanisme alternatif, s’assurer, avec certitude, d’une livraison physique à date et à prix donnés. « Toutefois, cela signifie que celui qui a payé pour un contrat pourra avoir de l’eau sous n’importe quelles conditions et ce, uniquement parce que deux personnes ont signé un contrat de droit privé qui permet cet approvisionnement. Ce que ce système ne fait absolument pas apparaître, c’est son utilité sociale ou son côté éthique mais ça, on ne peut pas le reprocher aux financiers, c’est aux politiques d’agir dessus. » Mais le temps presse pour protéger les ressources en eau. Car la Californie n’est pas la seule à pâtir du tarissement de ses réserves. L’ONU prévoit en effet que, d’ici cinq ans, les deux tiers de la population mondiale se trouveront en état de stress hydrique, c’est-à-dire que la demande en eau sera supérieure à la quantité disponible. 

Un tel système serait-il possible en France ? « Je pense que nous sommes protégés de ces extrêmes-là, rassure Marielle Montignoul. Dans notre pays, la législation fait de l’eau un patrimoine commun. Grosso modo, nous n’avons que des autorisations de prélèvements et, à partir du moment où l’on est juste autorisés, on ne peut pas créer un marché. » 

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