No pain, no gaine : les belles promesses du shapewear

Taille de guêpes, fesses et seins galbés : il n’aura fallu que quelques années au shapewear pour se (ré)imposer comme un incontournable du vestiaire féminin. Ces dessous correcteurs, tout à la fois gainants et confortables, ne sont cependant pas sans rappeler le corset, tombé en disgrâce au début du 20e siècle. Le body positivisme en plus.
Sophie Danger @sofdanger Visuel © Skims
En matière de mode, il est de coutume de dire que rien ne se perd, tout se récupère. Et il en va ainsi, depuis toujours, du meilleur comme du pire. Dernier exemple en date, le retour fracassant dans le vestiaire féminin de la lingerie sculptante — culottes montantes, bodys, brassières, shorts et autres combinaisons gainantes — rebaptisée, caution moderne oblige : shapewear. Rejetons plus ou moins assumés du corset, instrument de contention abandonné sans regrets par les femmes au début des années 1900, ces dessous nouvelle génération sont parvenus à s’affranchir d’un héritage bien lourd à porter : ils tablent sur le confort et l’inclusion, concepts dont leur ancêtre décrié semble ne s’être jamais embarrassé. Une véritable révolution… du moins en surface. Car sous couvert de remiser baleines et renforts au placard, de privilégier des matières souples à effet seconde peau et de s’adresser à toutes les morphologies sans exception, ces sous vêtements n’ont, à l’instar de ceux de nos aïeules, d’autre finalité que de camoufler des rondeurs considérées comme disgracieuses.
Une émancipation qui, sous couvert de body positivisme, perpétue l’éternelle injonction faite aux femmes de se conformer aux canons de beauté.
Une émancipation en trompe-l’œil donc et qui, sous couvert d’affirmation de soi et de body positivisme, perpétue, bien qu’elle s’en défende, l’éternelle injonction faite aux femmes de se conformer du mieux qu’elles le peuvent aux canons de beauté en vigueur. « En mode, il y a des périodes, explique AudreyMillet1, docteure en histoire et experte en écosystème de la mode. Il y a eu le bling des années 1980, avant la période CK One avec Kate Moss et la mise en avant de jeunes filles très minces. Par la suite, il y a eu le porno chic avec le push up, puis le slim. Maintenant, on revient à quelque chose de très plantureux. » Une rengaine vieille comme le monde ou presque, entretenue à grand renfort de campagnes publicitaires par les patrons d’indus- trie. « Lorsqu’on a laissé tomber le corset, nous étions en pleine révolution industrielle, poursuit Audrey Millet. À cette époque, les femmes ont commencé à travailler plus. Elles devaient courir pour attraper leur tramway, le métro. Si officiellement, le corset a été abandonné pour raisons médicales, c’est en fait surtout pour qu’elles aillent bosser. Aujourd’hui, sous prétexte d’inclusivité et de beauté pour toutes, on se retrouve avec le même appareillage et on essaie de nous convaincre, avec les plus beaux mots du monde, que cette manière de faire est la meilleure. Le néo-libéralisme, c’est ça. On ne ferme pas les frontières à tel produit. Mais la liberté, ce n’est pas celle des gens : c’est celle du commerce. »
Pour autant, pouvons-nous espérer un jour nous débarrasser, une fois pour toutes, de ces diktats qui non seulement nous entravent, mais face auxquels nous cédons sans même plus nous en rendre compte ? Difficile à imaginer tant la mode, et ceux qui la vendent, savent se réinventer pour mieux nous séduire. « À la fin du 19e siècle, lorsque certains médecins avancent qu’il faut arrêter de porter le corset, on trouve dans les journaux des publicités vantant des modèles amincissants, bons pour la santé », rappelle Audrey Millet. Cent ans plus tard, force est de constater que la recette fonctionne toujours. Et comme les corsetiers en leur temps, les professionnels du shapewear n’hésitent plus, à leur tour, à miser sur la science pour séduire. Bourrée d’actifs réputés plus performants les uns que les autres, la lingerie correctrice emprunte à la cosmétotextile2 et se veut désormais savante, capable non plus de camoufler mais d’éradiquer nos complexes en les faisant fondre. « Tout ça, c’est du lobbying, conclut Audrey Millet. On a réussi à épingler l’industrie de l’agroalimentaire, celle du pétrole et du tabac mais on n’arrive pas à mettre l’industrie de la mode sur la table. Celle-là fait plus rêver que les autres. Elle s’en sort grâce à son vernis. »
C’est la nouvelle reine incontestée du shapewear ! Kim Kardashian, figure incontournable de la téléréalité, s’est invitée sur le marché en 2019 en lançant Skims, une marque de lingerie sculptante qui propose soutien- gorges, culottes et combinaisons dans des tailles allant du XXS au XXXL. Valorisée à 1,6 milliard de dollars en avril 2021, ce poids lourd du sous-vêtement correcteur a doublé sa valeur en moins d’un an et pèse désormais 3,2 milliards de dollars.