Du mort au bijou de famille

La vie n’a pas de prix. La mort pourrait bien en avoir un : l’entreprise américaine Lifegem propose de transformer les cheveux des défunts en diamants.
Delphine Bauer / Youpress @dbyoupress Illustration © Evie S. – Unsplash
« Lifegem est le moyen le plus beau et intemporel d’honorer la mémoire de vos proches, dont la vie est unique. Après tout, les diamants sont éternels. » Voilà comment cette entreprise américaine, créée en 2007, décrit ce que deviendront les cheveux que leur confient les proches de défunts. Car, comme elle propose aussi de le faire avec les cendres, la société Lifegem a la particularité de transformer ces matériaux humains… en diamants ! Brillants et trans- parents, ils sont naturellement bleutés en raison de la présence de bore – un élément chimique – dans le corps humain, mais peuvent tout aussi bien adopter d’autres teintes, selon le souhait des clients. Multifacettes comme le sont les diamants naturels taillés, ils ont la même composition et un aspect similaire. À ceci près qu’ils sont synthétiques.
Dans la nature, les diamants naissent de la compression sous la terre, pendant des millénaires, de particules de carbone. Lifegem a donc mis en place un procédé de haute technologie qui reproduit et accélère en laboratoire ce phénomène naturel. Après avoir capturé le carbone des cheveux, qui repré- sente environ 50 % de leur composition, ce dernier est chauffé dans des caissons spéciaux, à 1 500°C et sous très haute pression, pour être transformé progressivement en graphite, puis en diamant. Avec quelques mèches — l’équivalent d’une paume, précise la société — Lifegem obtient une pierre en six à neuf mois seulement. Ces dernières sont certifiées par des gemmologistes et les clients obtiennent un document qui stipule le carat, le poids, la taille, la couleur, la clarté, le polissage et la symétrie des gemmes. « Ces diamants ont beaucoup moins de valeur sur le marché que des diamants naturels. Ce ne sont pas des diamants dans lesquels on investit », tempère Dean VanderBiesen, le vice-président de Lifegem. Il reconnaît être parfois contacté par des familles de défunts qui aimeraient bien se faire de l’argent, mais il n’en est pas question, tient-il à préciser.
Plus fort que la mort
En effet, la plupart des demandes expriment avant tout le besoin de conserver une trace éternelle de l’être aimé et relèvent d’une démarche sentimentale. Mais avant de déposer Mamie dans son coffre-fort ou de sertir oncle Joseph, il en coûtera tout de même entre 2 500 et 20 000 dollars aux Américains endeuillés, selon la taille et le nombre de pierres souhaitées. Aux États-Unis, la législation autorise ce genre d’initiative, comme l’explique le professeur Mathieu Touzeil-Divina, spécialiste du droit des défunts : « Plusieurs législations dans le monde permettent de toucher au corps après la mort, considérant qu’il devient alors une chose. » C’est précisément le cas des États-Unis, du Japon, de l’Allemagne ou encore de la Suisse, où des sociétés similaires à Lifegem se sont lancées avec une offre comparable.
Pour autant, l’accueil n’a pas été unanime ; certains ont été choqués. « Quand nous avons lancé le projet, nous avons fait le buzz, se souvient Dean VanderBiesen. C’était une première ». Le marché reste néanmoins une niche [en 2007, juste après son lancement, Lifegem faisait 7,5 millions de dollars de chiffre d’affaires, ndlr]. Mais il trouve ses clients dans un contexte « où les gens cherchent de plus en plus à personnaliser les funérailles de leurs proches et à créer leurs propres rituels d’enterrement », analyse le vice-président.
En France, le corps des défunts sacralisé
Impossible d’imaginer une telle entreprise dans l’Hexagone. En tout cas, en ce qui concerne l’utilisation de matériaux issus de défunts. « Il existe une protection juridique très forte en France. Même si officiellement, le corps mort est considéré comme une chose dans notre droit, il est très protégé. Et dans les faits, on tend à considérer les corps morts comme des personnes », précise Mathieu Touzeil-Divina. En France, des garde-fous moraux, éthiques, voire philosophiques, sacralisent les corps même après la mort. Les défunts doivent être inhumés ou incinérés, et dans ce dernier cas, le devenir des cendres est très encadré par la législation : impossible donc d’imaginer en faire des pierres précieuses.
« Plusieurs législations dans le monde permettent de toucher au corps après la mort, considérant qu’il devient alors une chose. »
Pr. Mathieu Touzeil-Divina, spécialiste du droit des défunts
Il reste bien une possibilité pour les Français d’obtenir un diamant à partir d’un matériau humain : utiliser les cheveux d’une personne vivante. Dans ce cas, ce serait autorisé, puisque, rappelle le juriste, il est légal de vendre ses cheveux, pour en faire des perruques ou des extensions capillaires, par exemple. Lifegem, qui propose d’ailleurs de transformer aussi les cheveux des vivants en diamant, y voit une démarche puissante. « Pour les gens en vie, transformer des cheveux en diamants symbolise la lutte. Par exemple pour des personnes malades d’un cancer ou qui l’ont vaincu », résume Dean VanderBiesen. Peut-être ne s’en faudra-t-il que d’un cheveu pour qu’une entreprise française se mette sur le créneau…