The return of Superman : la télé-réalité au secours de la natalité

Avec une baisse de natalité au long cours, la Corée du Sud voit vieillir sa population et commence à manquer de main d’œuvre. Pour y remédier, la ville de Séoul vient de lancer « Le bonheur des mères et des pères », un plan titanesque dans un pays où les femmes refusent d’avoir des enfants et où les hommes découvrent les joies de la parentalité à travers la téléréalité.
Par Alyssia Gaoua
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Si l’absence de bambins dans les rues de la capitale inquiète tant les autorités de Séoul, c’est que la ville pourrait perdre près de 27 % de sa population d’ici 2117. Une crainte qui vaut pour l’ensemble de la péninsule : avec 0,81 enfant par femme l’an dernier, la Corée du Sud est le seul des 38 pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) dont l’indice synthétique de fécondité est inférieur à 1. Accentué par la diminution du nombre d’étrangers venus s’installer dans le pays, en raison de la pandémie de Covid-19, ce faible renouvellement de la population commence à peser sur l’économie nationale.
Annoncé en août dernier, le nouveau plan de la ville de Séoul s’élève à 14,7 billions de wons (soit 10,5 milliards d’euros environ) et se présente comme une énième tentative d’encourager la croissance de la natalité, à travers notamment une aide financière de 300 000 wons mensuels (environ 215 €) durant un an pour toute famille qui fait garder son nouveau-né par un proche, des crèches ouvertes 24h/24 et tous les jours de l’année, ou encore des auxiliaires de vie pour accompagner les enfants à l’hôpital s’ils sont malades (et ainsi éviter aux parents de s’absenter du travail). Le tout résumé par un slogan sans ambiguïté : « Si vous avez des enfants, la société les élèvera ».Comment un pays en plein essor économique se trouve-t-il contraint de multiplier les incitations à faire des enfants ? Il faut revenir dans les années 1970, marquées par une politique publique qui préconisait de ne pas avoir plus de deux enfants pour lutter contre l’extrême pauvreté : les familles dites nombreuses étaient interdites. Dix ans plus tôt, la Corée du Sud figurait parmi les pays les plus pauvres du monde, avec un PIB par habitant de 64 $. Cette politique a marqué des générations : aujourd’hui, les foyers avec plusieurs enfants restent mal perçus. Le coût exorbitant de l’éducation, mais aussi le manque cruel de lieux « family friendly » constituent également des freins majeurs à la natalité. Et surtout, la société sud-coréenne reste très patriarcale : la moitié seulement des femmes travaille, contre 82 % des hommes. Car les employeurs craignent que leurs salariées, une fois mariées, ralentissent le rythme de l’entreprise en prenant un congé maternité, ou démissionnent pour se consacrer pleinement à leur foyer. Les jeunes Coréennes sont donc de plus en plus réticentes à l’idée de fonder une famille au détriment de leur réussite professionnelle et de leurs finances.
Les stars ouvrent la voie
Depuis plusieurs années, les gouvernements nationaux comme régionaux tentent (en vain) d’encourager à la hausse le taux de fécondité. Et dans le berceau de la K-POP, la téléréalité pourrait bien venir en renfort des politiques publiques. En 2021, lors de la 16e journée de la femme enceinte, l’ancien Premier ministre Kim Boo-Kyum a ainsi félicité Kang Bong-Kyu, producteur à l’origine de l’émission « The Return of Superman », d’inciter les Sud-coréens à voir la co-parentalité comme quelque chose de positif. Car depuis 2013 et en près de 400 épisodes, ce show diffusé sur la chaîne KBS fait recette avec une formule qui renverse les rôles établis : des pères de famille célèbres s’occupent de leurs enfants durant 48h, pendant que leur femme prend du temps pour elle. Du rappeur mondialement connu Tablo (du groupe Epik High) – qui réalise qu’avec son rythme de travail il ne connaît pas bien sa fille, passionnée par les poissons – à l’adulé joueur de foot Park Joo-Ho – qui essaie tant bien que mal d’imposer son autorité sans trop s’appuyer sur son aînée – les stars se bousculent au casting de cette émission familiale. Le public coréen comme international est au rendez-vous et le succès ne se dément pas, pour cette émission qui a remporté pas moins de 30 récompenses dans son pays : programme de l’année, prix des téléspectateurs, etc.
En offrant « une vision du père coréen très éloignée de son image de bourreau de travail peu investi dans la vie familiale », comme le souligne la chaîne américaine Public Radio International, « The Return of Superman » pourrait contribuer à faire bouger les lignes en matière de parentalité. Un an après le lancement de l’émission, le nombre de congés paternels avait doublé par rapport à 2012. Et en 2021, 22,7 % des congés parentaux, d’une durée de 6 mois, étaient pris par des hommes. S’il est difficile de déterminer ce que ces chiffres en hausse doivent à l’émission, ils sont significatifs, dans un pays où les salariés n’ont que deux semaines de congés payés annuels. L’objectif de 30 % de congés pris par les pères d’ici 2030, fixé en 2015 par le gouvernement d’alors, sera-t-il atteint ? Avec le nouveau président conservateur et ouvertement antiféministe Yoon Seok-Youl, élu en mai 2022, les efforts et avancées en la matière pourraient subir un coup d’arrêt. Car, ainsi que le signale l’Institut coréen de la garde et de l’éducation des enfants dans l’un de ses rapports, « une vision positive de la parentalité ne sera possible qu’avec un marché du travail et une culture d’entreprise égalitaires, ce qui suppose forcément un plus grand engagement des pères dans l’éducation des enfants ».