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Aux urnes, citoyens ! Handicap et enjeux électoraux – partie 4 : un sinueux chemin vers les droits

Aux urnes, citoyens ! Handicap et enjeux électoraux – partie 4 : un sinueux chemin vers les droits

En France, près de 12 millions de personnes sont concernées par une situation de handicap : un corpus électoral non négligeable dont une partie peut cette année, et pour la toute première fois, voter aux élections législatives. Mais il faut passer les programmes au peigne fin pour y trouver le mot « handicap » bien que ce ne soient pas les besoins qui manquent. Alors, en 2022, aurait-on oublié un sixième de la population française ? Dans ce tour d’horizon des grands enjeux à inscrire dans l’agenda des gouvernements, pour aujourd’hui et pour demain, voici la quatrième partie : un sinueux chemin vers les droits.

Benjamin Laurent – Studio Parolox
Relecture et documentation : Sandrine Brotons
Illustrations © Liza Victorova

Depuis la loi de 2005 (voir en fin d’article), chaque département est doté d’une Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH), structure de référence chargée d’accompagner les personnes et de simplifier leurs démarches. Chacune octroie, via une commission dédiée, une prestation de compensation du handicap (PCH), permettant de couvrir les surcoûts spécifiques engendrés par le handicap. Fabiano Carpineti, 56 ans et atteint d’une sclérose en plaque, partage son expérience : « Pour résumer, la MDPH vous alloue une somme forfaitaire pour cinq ans. Dans mon cas, c’est 10 000 € que je peux dépenser pour des achats de matériel. J’ai par exemple voulu adapter mon véhicule avec une conduite au volant. Les 5 000 € que coûtaient les travaux ont été pris en charge par la MDPH ». Des droits qui restent toutefois particulièrement difficiles d’accès et largement insuffisants. « Les prix des matériels et adaptations dédiés au handicap sont extrêmement élevés et tout ce qui est pourtant nécessaire n’est pas pris en charge par la PCH. J’ai par exemple eu besoin d’acheter une roue supplémentaire pour mon fauteuil, afin de pouvoir me promener autour de chez moi et faire mes courses seul. Cette roue a été considérée comme du luxe par la MDPH et donc non remboursée. Elle coûtait 5 000 €, j’ai donc fait une cagnotte Leetchi pour la payer ». Un constat que le Défenseur des droits a rappelé dans une proposition de réforme adressée au gouvernement en juillet 2020 : « Le tarif de remboursement prévu par la réglementation est insuffisant pour couvrir le coût réel des aides techniques, ce qui se traduit par une part importante de dépenses qui reste à la charge des personnes handicapées ». 

« Un principe du premier arrivé, premier servi, qui n’apparaît pas comme une réponse aux réels besoins des personnes handicapées. » 

Dans le cadre de cette prestation de compensation du handicap, la loi de 2005 prévoyait également de plafonner le reste à charge à 10 % des ressources de la personne concernée. Une mesure toujours pas mise en œuvre en 2022, car la publication du décret d’application définissant les modalités se fait attendre. Le 6 mars 2020, le gouvernement a fait voter une nouvelle loi dans ce sens, tout en y ajoutant un obstacle majeur pour les bénéficiaires : les remboursements se feront dans la limite du financement du Fonds départemental de compensation du handicap (lui aussi géré par les MDPH). Un principe du premier arrivé, premier servi qui, selon les mots du Défenseur des droits, « apparaît davantage comme un moyen de sécuriser juridiquement les pratiques des fonds de compensation départementaux que comme une réponse aux réels besoins des personnes handicapées ». Derrière le sujet du reste à charge se cache la question cruciale du niveau de vie des personnes en situation de handicap. Dans une étude publiée par la DREES en 20219, on apprend que les revenus des ménages avec une personne en situation de handicap sont inférieur à 60 % du niveau de vie médian des Français. Cette pauvreté économique entraîne bien souvent, faute de moyen financiers, des ruptures dans les parcours de soin, des reports d’examens, etc. Un enjeu majeur pour le prochain quinquennat, sur lequel les candidats peinent à se positionner. 

Tu prends ma place, tu prends mon dossier 

Obtenir des droits auprès des Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées passe par l’inévitable dossier administratif à remplir, véritable cauchemar pour les proches et personnes concernées. Si le gouvernement vante une simplification du dossier, le conseil donné par un bénévole de l’association HyperSupers TDAH France à une bénéficiaire potentielle permet de douter de l’efficacité de la mesure : « En caricaturant un peu, votre but est d’implorer la pitié de la MDPH. Donc, lorsque vous le remplirez, oubliez temporairement toute fierté personnelle et estime de vous-même, et soyez aussi négative que vous le pouvez à votre propre égard. S’il y a une case que vous hésitez à cocher en vous disant que les choses ne vont pas si mal, cochez-la quand même. C’est l’une des rares circonstances de votre vie où vous aurez envie de vous montrer sous le jour le plus défavorable possible. » Fabiano Carpineti abonde dans ce sens : « Même lorsque la PCH vous est allouée pour cinq ans, il faut, à chaque dépense, repasser devant un médecin pour faire valider que c’est nécessaire. Les délais sont ensuite très longs. » 

Quelques avancées sont toutefois à noter. Le Défenseur des droits avait souligné des dysfonctionnements graves au sein des commissions des MDPH chargées de se prononcer sur l’orientation de la personne handicapée et sur les mesures propres à assurer son insertion scolaire, professionnelle et sociale. Des commissions épinglées pour leur manque de transparence en cas de refus d’une demande d’aide : elles avaient en effet la fâcheuse tendance d’oublier de motiver les raisons du refus, et cette omission empêchait tout recours ultérieur. Les MDPH interpellées par le Défenseur des droits auraient depuis modifié ces pratiques. 

« Lorsque vous remplirez le dossier, oubliez temporairement toute fierté personnelle et estime de vous-même, et soyez aussi négative que vous le pouvez à votre propre égard. » 

Depuis février 2019, le gouvernement a également déployé les droits à vie pour les personnes dont le handicap est reconnu comme permanent. Auparavant, elles devaient, tous les trois ans, faire tamponner un certificat médical prouvant qu’elles étaient toujours aveugles, paraplégiques, autistes, etc. Une aberration dénoncée par les associations, qui saluent cette récente reconnaissance de la place particulière de ces personnes dans notre société. 

Julien termine son café et repart avec son auxiliaire de vie. Lorsqu’on lui demande comment il voit l’avenir, il répond : « Je ne veux pas de ghetto. Ce que je veux, c’est un jour pouvoir sortir avec une meuf valide. Je ne veux pas m’enfermer sans possibilités de découvrir. J’ai soif de connaissances. J’ai eu la chance de voyager en Chine, aux États- Unis. J’espère que ça va continuer. » 

La loi de 2005

Dite loi « pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », elle est née sous l’impulsion du président Jacques Chirac et propose une redéfinition de la notion de handicap : « Constitue un handicap […] toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » Finie donc l’approche strictement médicale : l’objectif est de faciliter en premier lieu le maintien en milieu ordinaire des personnes en situation de handicap. Cette loi s’accompagne de la création des Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées (MDPH), chargées d’attribuer les différentes aides en fonction du projet de vie des personnes. Sur le plan de l’éducation, la loi de 2005 rappelle également que tout enfant ou adolescent en situation de handicap doit être scolarisé dans l’établissement scolaire le plus proche de son domicile.


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