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Aux urnes, citoyens ! Handicap et enjeux électoraux – partie 1 : l’école

Aux urnes, citoyens ! Handicap et enjeux électoraux – partie 1 : l’école

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En France, près de 12 millions de personnes sont concernées par une situation de handicap : un corpus électoral non négligeable dont une partie peut cette année, et pour la toute première fois, voter aux élections législatives. Mais il faut passer les programmes au peigne fin pour y trouver le mot « handicap » bien que ce ne soient pas les besoins qui manquent. Alors, en 2022, aurait-on oublié un sixième de la population française ? Tour d’horizon des grands enjeux à inscrire dans l’agenda des gouvernements, pour aujourd’hui et pour demain.

Benjamin Laurent – Studio Parolox
Relecture et documentation : Sandrine Brotons
Illustrations © @lizavictorova

Première partie : la fabrique des citoyens

Nous rencontrons Julien dans un café. Enfant, il est victime d’un accident de la route entraînant un grave traumatisme crânien. Peu de temps après, un staphylocoque doré se développe sur l’os de son crâne. « Mes parents ont tout fait pour éviter l’opération. On a même été à Lourdes », précise-t-il. Mais rien à faire, les prières de Julien et de ses parents ne sont pas entendues : il sera opéré quatre fois. Si dans les premiers temps, il peut remarcher, Julien est aujourd’hui atteint d’une hémiplégie qui lui paralyse le côté droit et le contraint à se déplacer en fauteuil roulant. « C’est la troisième fois de ma vie que j’apprends à marcher », dit-il malicieusement. L’histoire de Julien est finalement celle de nombreuses personnes : celle d’une vie qui bascule, d’abord ; celle de nombreux efforts pour retrouver ses facultés et enfin celle, plus difficile encore, de l’insertion dans un environnement qui peine à prendre en compte les besoins des personnes en situation de handicap. Le parcours de Julien est emblématique des enjeux actuels au cœur des problématiques politiques et sociales qui touchent le milieu du handicap. Si le quinquennat d’Emmanuel Macron a été porteur de nombreuses mesures en ce domaine, il reste fort à faire.

Après son accident, Julien a été scolarisé en école primaire ordinaire[1]. Dans les années 1980, la notion d’école inclusive est encore loin : les bâtiments ne sont pas adaptés à son handicap et les enseignants sont très peu formés. Il apprend donc de manière autodidacte à lire et à écrire. 

« Quand je suis arrivé au lycée, je me suis retrouvé avec des gens qui n’avaient jamais vu de personne handicapée. Ils m’ont fait subir toutes sortes d’humiliations. J’ai même dû leur montrer mon pénis pour leur prouver que j’étais comme tout le monde. »

Au collège, il rejoint une structure spécialisée qu’il quitte au bout de deux ans, pour se tourner vers une formation de maître-chien dans un lycée agricole. Une période qui ne lui laisse pas de très bons souvenirs : « Quand je suis arrivé au lycée, je me suis retrouvé avec des gens qui n’avaient jamais vu de personne handicapée. Ils m’ont fait subir toutes sortes d’humiliations. J’ai même dû leur montrer mon pénis pour leur prouver que j’étais comme tout le monde. » Autres temps, autres mœurs. 

Dans la formation des futurs citoyens, l’école joue un rôle primordial, que rappelle le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports sur son site internet : « Sans l’éducation, la transmission des valeurs de la République ne peut être assurée. L’École y contribue et se mobilise aux côtés de ses partenaires pour les valeurs de la République. Transmission des valeurs républicaines, laïcité, citoyenneté, culture de l’engagement et lutte contre toutes les formes de discrimination sont au centre de cette mobilisation ». Si certains pays, l’Italie par exemple, ont fait le choix d’accueillir tous les enfants au sein d’une même et unique école, la France préfère scolariser certains enfants porteurs de handicap dans des établissements spécialisés[2]. Conscient qu’exclure des enfants pour ce motif était de facto les exclure de la citoyenneté, l’État a voté en 2005 une importante loi sur la participation à la vie citoyenne. Elle rappelle notamment que la place d’un enfant porteur de handicap est dans son école de quartier. En 2021, environ 400 000 enfants sont ainsi scolarisés en milieu ordinaire. En 2006, ils étaient 118 000. Le sujet de la scolarisation de ces enfants dans leur école de secteur a été un marqueur de la politique de Sophie Cluzel, la secrétaire d’état chargée du handicap d’Emmanuel Macron. Sous ses cinq ans de mandat, on constate une augmentation de 20 % du nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire. 

Malgré ces chiffres encourageants, la réalité sur le terrain est parfois plus complexe. Les parents sont confrontés à des difficultés pour obtenir des accompagnements adaptés, au manque d’Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap (AESH) — dont la formation et les salaires gagneraient aussi grandement à être révisés. Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, en fait le constat : « Pour les enfants en situation de handicap sans problème cognitif, c’est vrai qu’en cinq ans les choses ont avancé. En revanche, pour les enfants avec un trouble cognitif, un trouble du développement intellectuel par exemple, on est toujours au même point. Oui, les unités de maternelle spécialiséesdans les écoles ordinaires ont été triplées. Mais il n’existe toujours pas d’unités spécialisées au collège et au lycée. On se retrouve donc à dépenser 50 000 € par an et par enfant dans des accompagnements qui, une fois la maternelle terminée, ne se poursuivent pas. Or, certains enfants en ont encore besoin au collège et au lycée. Et si ce n’est pas fait, les progrès réalisés avant sont perdus. »

La formation : un enjeu de taille

Pour Christine Gétin, présidente de l’association HyperSupers TDAH[3], il faut également ouvrir le débat sur la formation des enseignants et sur les méthodes d’apprentissage : « Tant que les enseignants ne seront pas formés à accueillir correctement des enfants différents dans leurs classes, on se battra toujours (…). Vous avez des enseignants qui pensent toujours qu’un cours doit être le même pour tout le monde. Or, ça n’est plus possible ». Une position partagée par Danièle Langloys : « Aujourd’hui, les enseignants reçoivent sur la scolarisation inclusive 25 heures de cours dont on ne connaît pas le contenu. Ce n’est pas assez pour comprendre les besoins de ces enfants particuliers. »

Chaque parent d’un enfant dépendant se pose fatalement la question : « Que va-t-il devenir quand je ne serai plus là ? Qui va remplir ses papiers ? »

Si parents et associations se battent pour la scolarité en milieu ordinaire au-delà du droit de chaque enfant à être scolarisé, c’est qu’il en va de leur autonomie. Chaque parent d’un enfant dépendant se pose fatalement la question : « Que va-t-il devenir quand je ne serai plus là ? Qui va remplir ses papiers ? » L’écriture et la lecture apprises à l’école sont fondamentales pour une vie autonome. Même si elles peuvent très bien s’apprendre en milieu spécialisé, on sait aujourd’hui que l’apprentissage se fait, entre autres, par l’observation et l’imitation du comportement des autres. En scolarisant dans une classe ordinaire un enfant qui présente un trouble du spectre de l’autisme, par exemple, on lui donne l’opportunité d’apprendre de ses pairs des gestes et des comportements qui, plus tard, concourront à lui offrir de l’autonomie dans sa vie quotidienne. 

Même si ses années en école ordinaire laissent à Julien un goût amer, pour rien au monde il n’aurait voulu être en milieu spécialisé : « Mes parents ont toujours voulu que je sois parmi les autres. Pour moi, la mixité, c’est l’ouverture sur le monde. Rester entre personnes en situation de handicap, ça aurait été la mort. Et puis, être en situation de handicap à l’école, c’est aussi donner l’opportunité aux autres de s’adapter à la différence, de découvrir l’entraide.Même entre valides, il y a des différences, des fragilités, et par mon handicap, je permets aux autres de parfois en prendre conscience. C’est ma façon d’agir comme citoyen pour un mieux vivre ensemble. »

La suite dans l’épisode 2, à venir…


[1] On parle d’école ordinaire pour désigner les écoles primaires, collèges et lycées classiques, par opposition aux institutions spécialisées dans l’accueil de personnes en situation de handicap.

[2] Il en existe deux types : les Instituts Thérapeutiques, Éducatifs et Pédagogiques (ITEP) et les Instituts Médico-Éducatifs (IME).

[3] TDAH : Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité.

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