Aux urnes, citoyens ! Handicap et enjeux électoraux – partie 3 : des citoyens qui montent la voix

En France, près de 12 millions de personnes sont concernées par une situation de handicap : un corpus électoral non négligeable dont une partie peut cette année, et pour la toute première fois, voter aux élections législatives. Mais il faut passer les programmes au peigne fin pour y trouver le mot « handicap » bien que ce ne soient pas les besoins qui manquent. Alors, en 2022, aurait-on oublié un sixième de la population française ? Dans ce tour d’horizon des grands enjeux à inscrire dans l’agenda des gouvernements, pour aujourd’hui et pour demain, voici la troisième partie : des citoyens qui montent la voix.
Benjamin Laurent – Studio Parolox
Relecture et documentation : Sandrine Brotons
Illustrations © Liza Victorova
Jean-Marie Lacau, fondateur et animateur de Réseau-Lucioles, a une fille polyhandicapée. Âgée de 28 ans, elle fait partie de ces personnes porteuses d’un handicap de grande dépendance. Elle a notamment une incapacité de s’exprimer verbalement. Lorsqu’on demande à Jean-Marie Lacaux quelle citoyenne elle est, il explique : « Notre fille n’est peut-être pas une citoyenne au sens où vous l’entendez, mais dans notre petit monde familial et amical, elle exerce une influence énorme. C’est une co-artisane de l’univers social qui s’est construit autour d’elle et de sa famille. Par son sourire et sa sociabilité, elle attire tout le monde. Ses frères et sœurs ont acquis probablement grâce à elle des valeurs très fortes, une empathie et une attention aux autres extrêmement développées. C’est ça, la citoyenne qu’est ma fille : elle transporte les gens, elle les fait grandir. Elle a un rôle social et citoyen comme nous tous ! »
« Notre fille n’est peut-être pas une citoyenne au sens où vous l’entendez, mais dans notre petit monde familial et amical, elle exerce une influence énorme. »
Pour d’autres personnes sous tutelle, présentant notamment un trouble du développement intellectuel, l’élection présidentielle de 2022 est un événement historique. Depuis 2019 et l’abrogation de la loi leur interdisant de voter, il s’agit du premier scrutin présidentiel qui leur permettra de s’exprimer dans les urnes comme tout autre citoyen. Une avancée qui, là encore, ne masque pas l’ampleur de la tâche. Peu de candidats ont réellement franchi le pas de mener une campagne inclusive : les programmes et professions de foi, par exemple, tardent à être transcrits dans un langage accessible aux personnes qui ont un trouble du développement intellectuel. Certains pays comme l’Allemagne ont mis en place un véritable accompagnement à la citoyenneté des personnes en situation de handicap, conformément à la Convention relative aux droits des personnes handicapées entrée en vigueur en 2011 dans l’Union européenne. La France, elle, est une fois de plus en retard. L’inscription sur les listes électorales, par exemple, n’est pas automatique : elle doit se faire par une démarche volontaire. Or, ces personnes, dont le niveau de compréhension spécifique rend les démarches administratives plus difficiles, pourraient être mieux prises en considération. Par ailleurs, si les personnes en situation de handicap physique peuvent dans certains cas se faire aider d’un tiers jusque dans l’isoloir pour voter, un tel accompagnement est pour le moment refusé aux personnes sous tutelle. La loi a certes changé, mais les difficultés liées aux réalités de terrain persistent.
Rien pour moi sans moi !
Heureusement, l’expression de la citoyenneté ne passe pas uniquement par les urnes. Depuis quelques années, parents et personnes concernées mettent l’autodétermination au cœur des revendications, des projets d’établissements et des associations. L’autodétermination se définit, selon l’Unapei, par le droit de chaque être humain à gouverner sa vie sans influence externe et à la juste mesure de ses capacités. Car pendant des décennies, les personnes en situation de handicap, et notamment celles qui ont une déficience intellectuelle, étaient placées dans des institutions, sans que leur avis soit sollicité.
Aujourd’hui les mentalités et les demandes des familles ont évolué. La loi de 2002, dite « loi sur le droit des usagers », a par exemple rendu obligatoire la création d’outils permettant à chacun(e) d’être au centre de la prise en charge par son établissement. Amélie Naudion, de l’Adapei 69, une association de familles gestionnaires d’établissements médico-sociaux, est témoin de ces changements : « On réfléchit de plus en plus à intégrer les personnes dans la gouvernance de l’association. On a par exemple créé, dans chaque établissement que nous gérons, des conseils de vie sociale présidés par des personnes avec un trouble du développement intellectuel. Ces personnes sont là pour donner leur avis sur le fonctionnement de la structure.
Depuis peu, nous avons également mis en place un club des présidents de ces conseils de vie sociale, pour les réunir afin qu’ils puissent donner leurs avis sur des actions à mener pour eux ». Cette transformation des mentalités risque de remettre en question beaucoup de choses, selon elle : « L’idée, avec ce concept d’autodétermination, est qu’une personne puisse choisir l’école où elle souhaite aller, l’association pour ses loisirs, et que les soins de santé soient effectués par les professionnels de son choix, le tout en fonction de son secteur géographique. Pour nous, il s’agit de partir non plus de l’offre qui est proposée, mais du besoin des personnes. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui, où c’est l’offre qui détermine le parcours de la personne. »
Accompagner la citoyenneté
La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) est adoptée le 13 décembre 2006 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Elle entre en vigueur le 20 mars 2010 en France et le 22 janvier 2011 dans l’Union européenne. Parce qu’elle stipule que les états doivent prendre toutes les mesures législatives et administratives afin de faire respecter les droits énoncés par la conven- tion, elle constitue une avancée majeure. Ainsi, au même titre que les incapacités de la personne en situation de handicap, un environnement inadapté est clairement identifié comme un obstacle majeur à sa participation à la vie citoyenne. Car comment accéder au droit de vote lorsque la mairie où vous devez vous inscrire est difficilement accessible ? Comment faire un choix si les programmes des candidats ne sont pas adaptés à votre niveau de compréhension ? Comment avoir accès aux meetings, débats ou interviews télévisées si vous êtes sourd(e) et qu’il n’y a pas d’interprète qualifié en langue des signes ? Pour répondre à ces enjeux, les états sont ainsi enjoints à garantir l’accessibilité généralisée aux personnes handicapées des dispositifs de droit commun.