Souveraineté énergétique : produire soi-même son biogaz, c’est possible

« En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ». Et avec la guerre en Ukraine, on découvre qu’on n’a pas non plus de gaz (ou si peu). Comme le gaz russe compte pour 17 % de notre consommation, justement, il va falloir des idées pour le remplacer. Et si, grâce à la méthanisation, on passait au biogaz, une énergie verte 100 % renouvelable et locale ?
Par Stéphane Rabut
Visuel (c) Unsplash – Marek Piwnicki
Souveraineté énergétique : deux petits mots aux conséquences importantes. Depuis l’invasion de la Russie en Ukraine, la France s’est réveillée avec la gueule de bois. L’Hexagone est très dépendant, dans son mix énergétique, du gaz acheté en Russie. C’est le deuxième pays d’importation de gaz naturel après la Norvège. Forcément, quand on veut couper l’arrivée de 17 % de ses besoins en gaz, il faut trouver une solution de remplacement. Et cette solution, il suffit de la produire soit même. Fabriquer du gaz n’a rien de compliqué. Chaque être humain (et l’ensemble des mammifères) en a déjà fait l’expérience. Mangez un bon plat, au hasard, une référence de la gastronomie comme le cassoulet. Patientez le temps de la digestion, et là, miracle : vous avez 90 % de chances d’avoir produit du méthane. Ce dernier, associant un atome de carbone et quatre atomes d’hydrogène, représente 90 % du gaz naturel.
Question rendement, aucune chance d’alimenter une gazinière ou de chauffer un appartement. Heureusement, la solution est à portée de poubelles grâce au procédé de la méthanisation. Il suffit de collecter des matières organiques putrescibles dans une grande cuve étanche, de les donner à manger à des bactéries (comme celles que l’on retrouve dans l’estomac des vaches, par exemple, sachant qu’une seule vache peut émettre 100 à 500 litres de méthane par jour). La magie de la chimie opère à l’intérieur du digesteur (aussi appelé méthaniseur). À la différence du compost, qui est exposé à l’air libre, l’ensemble ici privé d’oxygène fermente et restitue deux produits : du biogaz, composé principalement de méthane (50 à 70 %) et de dioxyde de carbone (30 à 50 %), et un digestat (résidus de la méthanisation, sous forme pâteuse).
Économie circulaire
Le biogaz, une fois purifié, peut être utilisé pour produire de la chaleur, de l’électricité, du carburant pour véhicule ou être injecté dans le réseau de gaz naturel. Le digestat est, quant à lui, un super fertilisant à répandre. La méthanisation est un procédé qui permet un traitement efficace des déchets organiques : eaux usées de l’industrie agroalimentaire ou d’aires urbaines, lisiers d’élevage, boues d’épuration et déchets solides (excréments d’animaux, emballages, déchets verts, etc.). L’énergie produite est 100 % renouvelable, stockable et les sources de productions intarissables.
Pour le moment, la filière biogaz est extrêmement modeste en France. Elle concentre de gros acteurs agricoles et industriels qui produisent à peine 1 % de la consommation annuelle de gaz du pays. Mais selon Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables, « la filière des gaz renouvelables n’en est qu’à ses débuts. Si l’État fait accélérer l’instruction des dossiers par ses services et garantit un prix d’achat minimum du gaz par les fournisseurs d’énergie pour les installations de taille industrielle [un système équivalent à celui que l’on connaît pour les producteurs d’énergies solaire ou hydraulique, ndlr], on connaîtra une accélération du nombre de nouveaux projets. Dans ces conditions, bien avant 2030, les gaz renouvelables pourraient complètement remplacer le gaz russe ». Une vision largement optimiste.
La technique du colibri
En matière de biogaz, la fable du colibri si chère à Pierre Rabhi a toute sa place. Car il est tout à fait possible de produire son biogaz à la maison à l’aide d’un digesteur domestique. Sachant qu’un Français jette en moyenne 391 kg de déchets par an, dont 152 kg de déchets organiques (restes d’aliments, épluchures, etc.), une personne peut produire environ 200 m3 de méthane par an, soit 1 200 kWh d’électricité (l’équivalent de 15 jours de chauffage électrique). Actuellement, dans les faits, le rendement n’est pas exceptionnel. Il faut du volume pour être rentable, même si un foyer de quatre personnes peut générer l’équivalent de 4 800 kWh d’énergie électrique par an (soit autant d’heures de fonctionnement d’un four à micro-ondes, par exemple). À cette échelle, c’est un bon moyen pour les particuliers de réduire leur impact écologique et d’alléger la facture d’énergie.
Fabriquer du biogaz, c’est travailler avec du vivant. Les bactéries, pour produire du gaz, doivent être nourries quotidiennement et en quantités suffisantes avec des déchets. La température du digesteur va grandement influencer leur production de gaz. Plus l’environnement est chaud, plus les bactéries travaillent. Il existe deux types de digesteurs domestiques : les continus et les discontinus. Les digesteurs discontinus permettent de faire des « réserves de nourriture » pour les bactéries et de les nourrir tous les quatre à six mois (parfait pour l’herbe de tonte, les déchets de marché ou de toilettes sèches). Les digesteurs continus, eux, doivent être nourris quotidiennement. Avec un budget de 500 € et pas mal d’huile de coude, l’association Picojoule vous permet de réaliser votre digesteur domestique continu DIY. Avec un kilo d’épluchures, vous obtenez trente minutes de cuisson sur votre gazinière.
Retard réglementaire
Pour les non bricoleurs, des start-ups comme HomeBiogas (basé en Israël) proposent des kits clé en main accessibles à moins de 1 000 €. Pour le système de base, il suffit de positionner le kit – qui ressemble à une grosse tente canadienne – au soleil dans son jardin, de lui fournir au quotidien l’équivalent de six litres de déchets organiques pour produire approximativement deux heures de gaz par jour. HomeBiogas propose également des kits que l’on peut coupler avec ses toilettes : une pompe permet d’envoyer les excréments directement dans le digesteur. Un système malheureusement non utilisable en France à cause de la réglementation. Si une autorisation en préfecture est suffisante pour l’utilisation des déchets végétaux, la facture monte dès qu’on souhaite recourir à d’autres intrants (déjections, déchets de viande, etc.). L’installation est alors considérée comme une usine de traitement de déchets et la procédure d’enregistrement avoisine les 10 000 €.
La crise de l’énergie devrait faire bouger la réglementation pour favoriser l’implantation de méthaniseurs, domestiques comme industriels, en raccourcissant les délais d’obtention des autorisations administratives et en allongeant la durée réglementaire de mise en service des installations. Autre coup de pouce au développement des méthaniseurs en France, la loi de 2015 qui va imposer le tri à la source des biodéchets d’ici 2025 pour tous et toutes. Terminé, les peaux de bananes dans la poubelle grise. Jusqu’ici, seuls les « gros » producteurs de déchets (le secteur agro-alimentaire, essentiellement) avaient l’obligation de valoriser leurs biodéchets, soit par voie de compostage, soit par voie de méthanisation. Pour les particuliers, la loi prévoyait uniquement du compostage. Mais depuis la guerre en Ukraine, la méthanisation domestique devrait avoir le vent en poupe. Particuliers, habitat collectif : les possibilités sont nombreuses, surtout avec le soutien de l’État.