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Grossir à tout prix

Grossir à tout prix

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Dans plusieurs pays d’Afrique Occidentale, les femmes se tournent vers de dangereuses potions miracles et sont prêtes à tout avaler pour obtenir un corps de rêve – mais le rêve de qui ? Autrement plus répandu que le diktat de la minceur, celui des rondeurs n’est pas non plus sans dangers. 

Viola Serena Stefanello  Illustration © Clémence Paillieux  

Des stéroïdes animaux ou des produits à base de cortisone pour faire engraisser bovins et chameaux, des crèmes qui promettent une prise de poids localisée, ou encore le recours à des pilules contraceptives, sirops et autres antihistaminiques dont l’un des effets secondaires est de stimuler l’appétit : de la Mauritanie au Nigéria, nombreuses sont les femmes qui recourent à ces méthodes pour devenir plus pulpeuses. 

Le phénomène n’a rien de nouveau. Dans un article publié en 2001, le New York Times recueillait les explications d’une trentenaire nigérienne : « Si votre femme n’est pas bien en chair, les gens diront que vous ne prenez pas bien soin d’elle. Mais si votre femme [l’est], on dira que vous êtes un homme riche, responsable, que vous prenez soin de votre famille. » Et de conclure que si les femmes « n’ont pas les moyens de manger suffisamment riche, elles iront au plus vite et achèteront des produits chimiques ». 

Car c’est bien pour plaire aux hommes que les femmes usent de tels stratagèmes, dans cette région du monde où les corps charnus sont symbole de force, de personnalité et de beauté. Très rond, tout en courbes, le corps idéal approche de la forme d’un sablier : seins voluptueux, hanches larges et, surtout, grosses fesses. Contrairement aux canons de beauté occidentaux, les bourrelets sont ici bienvenus. Obtenus à grands coups de produits miracles ou de médicaments détournés de leur usage, ces corps artificiellement grossis n’échappent pas aux problèmes de santé qui vont souvent de pair avec la prise de poids. D’ailleurs, les produits ingurgités, pleins de promesses pour y parvenir, pourraient bien être eux-mêmes directement responsables de nombre d’effets secondaires : en effet, outre les décès occasionnels, notamment suite à la prise de produits destinés au bétail, les cas d’hypertension artérielle, de diabète, de maladies cardiovasculaires, de déformations osseuses ou même de stérilité se multiplient chez les femmes qui les consomment, au mépris des risques qu’elles encourent ou parce qu’elles n’en ont simplement pas connaissance. 

Malgré ces effets secondaires dangereux, dénoncés notamment en Mauritanie depuis une dizaine d’années déjà, les produits de beauté destinés à gagner ces formes tant convoitées sont légion sur les marchés, en pharmacie ou sur Internet. Il est néanmoins difficile d’estimer le chiffre d’affaires que représente ce secteur, dont une grande partie se fait sur le marché noir. 

Un enjeu de santé publique 

En Mauritanie, où près d’un cinquième des femmes seraient obèses, le gouvernement a promulgué en 2010 une loi qui durcit les peines de prison pour le commerce illégal des médicaments favorisant la prise de poids. Pourtant, ces produits continuent à représenter un immense business et restent très largement accessibles. 

Le gouvernement a aussi dans son viseur la pratique historique du gavage, qui concernerait environ une femme sur cinq5 et persiste malgré son interdiction au début des années 2000 : dès l’âge de six ans, parfois plus tôt, les fillettes mauritaniennes sont – souvent violemment – contraintes de boire au quotidien des litres de lait de chamelle, d’avaler des bouillies très caloriques ou de prendre jusqu’à dix repas par jour. Souvent lié au mariage précoce des filles, le gavage doit les rendre belles et bonnes à marier : un proverbe local indique d’ailleurs que « la femme occupe dans le cœur de l’homme la place qu’elle occupe dans son lit ».

En Mauritanie, « la femme occupe dans le cœur de l’homme la place qu’elle occupe dans son lit ». 

Proverbe local

Le gavage met évidemment les femmes en danger : outre les répercussions psychologiques des violences subies, le rapide surpoids engendré renforce les risques de maladies cardio-vasculaires, d’insuffisance rénale, de diabète et de complications majeures pendant grossesses et accouchements. Presque complètement tombée en désuétude dans les villes, la pratique a toujours largement cours dans les régions rurales et aurait même connu un regain après le coup d’État de 20087 qui a marqué un recul des actions en faveur des femmes. 

Dans les cultures traditionnelles – en Mauritanie comme dans les régions très arides du Cameroun du Nord ou du Calabar nigérian – autant que dans les métropoles, l’obésité des femmes reste un véritable marqueur social qui symbolise la richesse de la famille. L’idéal d’une beauté très en chair pourrait néanmoins perdre de la vitesse : une étude de 20198, portant sur des magazines féminins diffusés à travers tout le continent africain, souligne la place croissante des normes de beauté occidentales, eurocentrées et blanches. Exaltation de la minceur, du teint clair, des cheveux longs et lisses viendraient ainsi, comme autant d’effets secondaires de la mondialisation, cohabiter peu à peu avec les canons plus traditionnels de beauté. 

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