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Bettina Zourli : être ou ne pas être parent

Bettina Zourli : être ou ne pas être parent

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Rédactrice, autrice et militante féministe, Bettina Zourli anime le compte Instagram @jeneveuxpasdenfant, récemment renommé @bettinazourli. Son désir de ne pas être mère ne l’empêche pourtant pas de soutenir celles qui le souhaitent : une question de choix éclairé, explique-t-elle à FLUSH. 

Propos recueillis par Céline Linguagrossa / Photo © Marigona Latifi 

Pourquoi ne veux-tu pas d’enfant ? 

Je ressens l’envie de ne pas être mère. C’est vraiment un désir, aussi viscéral, interne et légitime que celui d’être parent. Il y a ensuite des préoccupations politiques, écologiques, féministes, mais ce n’est pas ça qui l’a façonné. 

As-tu toujours assumé ton non-désir d’enfant ?
Oui, même si on ne devrait pas avoir à « assumer ». J’ai de la chance, j’ai une famille qui est très ok là-dessus : ça aide à se sentir en phase avec ses convictions et ses désirs. Même d’un point de vue professionnel, amical, ça n’a jamais trop été un questionnement. 

Qu’est-ce qui t’a poussée à prendre la parole ?
C’est venu en partie du fait de me marier. Et aussi l’âge : j’ai 30 ans cette année. Pour les gens, la suite logique, c’est effectivement de fonder un foyer. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas énormément de publications sur ce sujet, dans le milieu francophone. Ça m’a donné envie d’écrire Childfree. Je ne veux pas d’enfant et de créer mon compte Instagram. Très vite, j’ai reçu plein de témoignages. Les partager est un bon moyen de se réapproprier certaines pensées, certains désirs, parce que quand on les vit seul, on ne se sent pas légitime, on a l’impression d’être complètement anormal. 

Childfree est un terme qui remplace childless. Que veut-il dire ?
Déjà, on n’est pas obligé de se définir, c’est toujours bon de le rappeler ! Mais pour beaucoup, on a besoin d’avoir des mots, peut-être pour se sentir appartenir à une communauté. Le mot childfree est apparu aux États-Unis dans un article du Time Magazine en 19722 ; c’était le pendant de childless, « sans enfant », un terme qui n’a pas cette dimension d’émancipation par rapport au modèle de la parentalité. Le mot childfree fait consensus dans le monde francophone, avec cette dimension d’être « libre d’enfant ». Il n’y a pas d’équivalent dans la francophonie : on dit « non-désir d’enfant » ou « désir de ne pas être parent » pour ne pas parler par la négative — car c’est toujours comme ça qu’on en parle — alors que ce n’est pas négatif. La fécondité des femmes est forcément liée à des projets sociétaux, politiques et économiques. Le fait de ne pas avoir un terme témoigne d’un manque de réflexion sur le sujet. 

Parle-t-on de childfree pour les femmes comme pour les hommes ?
Le terme n’est pas genré mais c’est quand même une question plutôt féminine. Dès le plus jeune âge, c’est à nous qu’on impose ce soi-disant désir universel de maternité. Mais des hommes aussi subissent les mêmes phrases que nous sur le fait qu’ils sont égoïstes, vont changer d’avis, n’ont pas rencontré la bonne personne… 

Le terme childfree est né dans la mouvance féministe ?
Je me demande si c’est vraiment lié, parce que dans la dernière vague féministe des années 1970, la question était avant tout « un enfant quand je veux », donc l’accès à l’IVG et à la contraception. C’était clairement nécessaire. Mais la question « Peut-on refuser complètement la maternité ? » était peu sur le devant de la scène. 

Childfree est-il un mouvement militant ? 

Je me définis comme childfree mais aussi féministe, écolo, politisée. Ça ne veut pas dire pour autant que tous les childfree le sont : c’est un choix intime. Il n’y a pas forcément une dimension militante derrière, même s’il y a souvent des corrélations avec des préoccupations féministes et écologistes. Tu peux être pas du tout écolo mais childfree ! Tu peux aussi être féministe et maman. Ce n’est pas du tout en désaccord. Donc je pense que le mot childfree, c’est juste une manière de catégoriser. Par contre, il y a le mouvement des GINKs (Green Inclination No Kids), qui ne veulent pas d’enfant pour des raisons écologiques. C’est un vrai mouvement dénataliste : pour eux, l’espèce humaine se reproduit tellement vite qu’elle détruit tout sur son passage. Là, il y a une dimension politisée et militante très radicale. 

Qui sont tes détracteurs ? 

Il y en a beaucoup ! Je reçois parfois des messages insultants, d’hommes surtout, disant que la maternité est la plus belle chose qui puisse arriver aux femmes. Il y a beaucoup de discours culpabilisants sur la notion de regret : on va forcément changer d’avis un jour et il sera peut-être trop tard. Mon désir de ne pas être mère ne remet pas en cause le désir des autres. On me demande souvent pourquoi je ne veux pas d’enfant, mais on demande rarement l’inverse aux futurs parents. Je pense que c’est une bonne question à se poser. Beaucoup de mes détracteurs ont aussi des propos très racistes, du type : « Tu prônes le ‘grand remplacement’ français » lié au fait que le taux de natalité des femmes blanches françaises est moindre par rapport à celui des migrantes. Beaucoup de choses sont mélangées, donnent des propos problématiques, peu tolérants. 

Observes-tu néanmoins un changement des mentalités ?
Ça ne fait que trois ans que j’en parle publiquement. Mais je reçois des demandes de personnes qui étudient le sujet pour un mémoire, une thèse, etc. Récemment, j’ai été contactée par un magazine féminin ni politisé ni féministe : la preuve que les lignes bougent. Rester entre soi quand on est tous convaincus, ça fait un socle dur, ça donne confiance en soi. Mais le but, c’est de banaliser le choix de ne pas être parent. 

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Où te positionnes-tu dans le spectre des féminismes ?
Je me nourris beaucoup du féminisme intersectionnel, lié à la convergence des luttes, qui a pris racine contre un féminisme universaliste. On ne peut pas invisibiliser le fait qu’une femme noire ne vit pas la même chose qu’une blanche, qu’une lesbienne ne vit pas la même chose qu’une hétérosexuelle, etc. Je me positionne comme une alliée : je suis une femme blanche, je jouis de certains privilèges, alors si je peux aider, je le fais. Je me considère aussi éco-féministe. J’ai compris il y a quelques années que le patriarcat est un système de domination des hommes sur les femmes mais aussi sur la nature : ça a été une révélation ! Ça fait sept ans que j’ai décidé d’arrêter de manger de la viande : pour moi, c’était un acte individuel, pas du tout politisé, mais maintenant ça l’est. Je me retrouve là-dedans et me positionne en tant qu’alliée des luttes anti-racistes, contre les LGBT-phobies.

Parle-nous de la contraception définitive3
C’est dans la loi française depuis 2001 : toute personne majeure peut se faire stériliser. Beaucoup de médecins mentent ouvertement, disant qu’il faut avoir 35 ans et minimum deux enfants : c’est complètement faux ! Il faut juste respecter le délai de réflexion de quatre mois et avoir un accord écrit du médecin. Mais beaucoup demandent qu’un psy atteste de ta capacité de discernement. Parfois, c’est plusieurs séances, ça a un coût. Cette dimension médicalisante, liée à la psychologie des personnes qui ne veulent pas d’enfants, est problématique. Et ça pose des questions éthiques : on essaie de nous en empêcher, d’invalider ce choix. 

On peut être childfree, et on peut aussi avoir eu des enfants et le regretter : c’est encore plus tabou ?
Il y a une immense culpabilité et un sentiment contre-nature, je pense. On m’a souvent dit : « Si tu tombes enceinte, quand ton bébé sera né, tu l’aimeras forcément ». Comme si l’amour maternel était inné et universel. Il y a des femmes qui disent : « J’ai mis cinq ans à construire l’amour pour mes enfants ». Et c’est ok. Je pense que ça s’apprend, comme tout dans la vie. Et en plus, quand on n’en parle pas, ça doit être dur de le vivre de manière isolée. Donc oui, c’est encore plus tabou. Heureusement que des personnes décident de prendre la parole là-dessus ! Il y a le compte Instagram @leregretmaternel, j’échange beaucoup avec elle. Elle ne dévoile pas son identité parce qu’elle n’est pas prête à en parler à visage découvert. Ça montre bien le problème. Le livre d’Orna Donath, Le Regret d’être mère, a fait pas mal parler de lui. Ces personnes-là ne regrettent pas leur enfant ; elles regrettent le rôle sociétal des mères. C’est ce qui est intéressant. Pour moi, il ne s’agit pas d’arrêter de faire des enfants, ou de dire que c’est la source d’aliénation des femmes. Il faut changer de point de vue sur les mères. On les assigne à ce rôle hyper enfermé : se donner corps et âme à leur enfant et passer après. Je ne suis pas d’accord. 

Tu milites pour une responsabilisation sur la parentalité : qu’est-ce que c’est ? 
La préparation et la réflexion sur les enjeux de la parentalité devraient vraiment s’inscrire dans un projet de société. On a tellement dit que c’était de l’ordre du naturel ! On dit qu’on veut un enfant, mais on oublie que c’est un futur adulte indépendant. Je pense qu’une préparation à la parentalité serait libératrice pour plein de gens. Ça aurait peut-être des incidences positives sur les dépressions post-partum. Pourquoi pas des structures adaptées, au même titre qu’on prépare à l’accouchement ? Pour les hommes comme pour les femmes, d’ailleurs : ce serait l’occasion de dégenrer la parentalité.  

Quels sont tes projets du moment ? 

J’ai lancé des conférences en ligne avec des militant(e)s, auteurs(trices) féministes. J’ai aussi envie de mettre à disposition des résumés de livres théoriques car tu n’as pas le temps de lire tous les livres que tu voudrais pour construire ta pensée sur les féminismes et les combats actuels. Et je lance le podcast Amour(S) : pendant vingt minutes, une personne livre sa vision des mots « famille » et « couple ». L’idée, c’est d’offrir un espace à des modèles variés, pour que tout le monde puisse se créer la vie amoureuse et la famille de son choix. 

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