From Venus with love : la syphilis, le retour

Maladie sexuelle infectieuse qui fit des ravages dans toute l’Europe,
« grande simulatrice » capable de s’installer discrètement sur toutes les muqueuses, on la dit de retour. Mais avait-elle seulement disparu ?
Par Camille Grange / Collage © Folubert Sansonnet
Connaissez-vous le point commun entre Lénine, Staline et Mussolini ? Non, pas celui-là : l’autre. Oui, voilà ! Ils auraient tous trois souffert de la syphilis, autrefois appelée « grande vérole ». La syphilis fait partie de ces maladies dites vénériennes : comme si elles étaient un cadeau (empoisonné) offert après les rapports sexuels, elles tirent leur nom de Vénus, déesse mythologique de l’amour et de la beauté.
Les phases primaires de la syphilis se manifestent par une petite exulcération similaire à une plaie sur les muqueuses : elle peut, par exemple, se loger à l’intérieur de l’urètre. « Le côté traître de la maladie est qu’elle peut être invisible, asymptomatique et qu’elle ne comporte aucun signe clinique qui lui est propre », explique Ndeindo Ndeikoundam, épidémiologiste et coordinateur du programme IST à l’agence Santé publique France. Si la syphilis évolue aujourd’hui dans l’indifférence, elle peut avoir des conséquences graves, comme des problèmes cardiaques. Qualifiée de neurosyphilis lorsqu’elle atteint le système nerveux, elle peut également entraîner des méningites ou provoquer des démences. Et si, aujourd’hui, le dépistage et le traitement sont simples et rendent ces complications rares, il semblerait que – dommage ! – nos trois dictateurs aient joué de malchance : son traitement ne fut découvert qu’au milieu des années 1940.
Bactérie mature pour jeune hôte
C’est vers la fin des années 1990 et au début des années 2000 que les chiffres ont alerté. « À cette époque, nous avons recensé plusieurs clusters de syphilis. Cela devenait de plus en plus fréquent. Les médecins ont cru que le phénomène pouvait être circonscrit. Malheureusement, la syphilis s’est diffusée de plus en plus, notamment chez les hommes ayant des rapports avec les hommes », reprend Ndeindo Ndeikoundam.
En 2002, l’Institut de veille sanitaire a recensé 401 cas en France. En 2018, 1 782 cas étaient comptabilisés par le réseau ResIST. Parmi eux, 92 % concernaient des hommes. Depuis une quinzaine d’années, la plupart des pays européens ont connu une recrudescence de la maladie : entre 2007 et 2017, 260 000 cas au total ont été diagnostiqués3. « La syphilis n’a jamais complètement disparu. Elle tendait à diminuer du fait de la prévention et de la prise en charge par antibiotique. Mais il suffit de quelques cas pour que l’épidémie reparte », explique Ndeindo Ndeikoundam. Selon lui, en plus d’une utilisation négligée du préservatif, la hausse des cas pourrait aussi être due à un public moins attentif aux campagnes de prévention : « Il y a peut-être un problème sur la communication de la part des professionnels de santé, car il n’est pas normal que l’on ait l’impression que la syphilis date d’une autre époque ».
Molécule recherche labo désespérément
Sur son site, l’Agence Nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) annonce fin 2017 que le laboratoire français Sandoz, qui produit la benzathine benzylpénicilline, administrée en une unique injection pour traiter la syphilis, subira une rupture de stock pour une durée de six mois. Cette date sonnera en réalité l’arrêt total de la production de Sandoz.
En 20144 déjà, le géant français Sanofi-Aventis avait affirmé « ne plus être en mesure de poursuivre [la] commercialisation » de l’Extencilline – un traitement contenant le même principe actif que celui de Sandoz. L’ANSM avait alors passé un accord avec le laboratoire italien SigmaTau pour commercialiser temporairement en France une alternative de benzathine benzylpénicilline, le Sigmacillina. La production d’Extencilline a finalement repris en 2018 dans l’Hexagone grâce aux laboratoires Delbert, spécialisés dans la production de médicaments abandonnés par la concurrence. Alors, peut-on enfin être rassurés sur la disponibilité du traitement ? Pas totalement : les laboratoires Delbert ont annoncé le 30 mars dernier connaître à leur tour une rupture de stock sur le dosage le plus couramment prescrit d’Extencilline. « Nous avons changé de lieu d’approvisionnement pour la matière première. Ce changement doit être validé administrativement par l’ANSM et c’est ce qui prend du temps ». L’Extencilline continuera bien à être commercialisée et la production du dosage manquant doit reprendre dès la fin de cet été, assurent les laboratoires Delbert. En attendant, précisent-ils, les stocks du médicament dans un dosage inférieur sont suffisants pour permettre d’assurer la continuité des soins.
« Cet antibiotique est un produit ancien, il n’est peut-être pas très lucratif pour les laboratoires. »
Comment expliquer cette tension permanente dans la production du traitement ? Dans un bulletin de 2016, l’OMS5 indique que la benzathine benzylpénicilline serait « un médicament générique que très peu de fabricants produisent dans le monde », d’où un risque élevé de rupture de stock. « Cet antibiotique est un produit ancien, il n’est peut-être pas très lucratif pour les laboratoires. Néanmoins, il est essentiel, observe Ndeindo Ndeikoundam. La rupture de stock a obligé des médecins à prescrire des traitements de seconde ligne qui sont des alternatives sans pénicilline et qu’il faut prendre sur plusieurs jours, certains sous forme de comprimés. Ils sont donc moins pratiques. »
La syphilis est l’un des enjeux majeurs de la Stratégie Nationale de Santé Sexuelle, un plan de prévention déployé par le ministère de la Santé en 2017 pour prévenir et réduire le nombre d’IST. L’objectif ? Faire que la syphilis, qui nous a aussi enlevé Maupassant et Baudelaire, devienne réellement, d’ici 2030, une infection d’un autre temps.