Punaise de lit, la petite bête qui monte, qui monte…

On l’a longtemps crue rangée au rayon mauvais souvenirs. Il n’en est rien ! Depuis quelques années, la punaise de lit a repris de la vigueur. En cause notamment, la globalisation et l’ouverture des frontières. Depuis, la lutte s’organise pour tenter d’éradiquer ce fléau. Alors, à l’heure de profiter de vacances bien méritées, FLUSH vous donne les clefs pour éviter de ramener dans vos bagages ce petit insecte en souvenir. Première partie : L’effet boomerang !
Texte : Sophie Danger
Illustrations © Carol Arnaud • Kif-kif
Ce sont des retrouvailles dont chacun de nous se serait bien passé ! Après une rupture quasiment consommée dans les années 1950, la punaise de lit n’en finit plus de se rappeler à notre bon souvenir. Une ex-compagne envahissante qui rechigne, avec une mauvaise grâce crasse, à renoncer une fois pour toute à son histoire de désamour avec l’Homme, histoire dont les prémices remonteraient à plusieurs centaines de millions d’années. « La lignée d’origine de notre punaise de lit vivait aux dépens des chauves-souris, confirme Jean-Michel Bérenger, entomologiste médical à l’IHU Méditerranée Infection et directeur du Laboratoire Diagnostic Insecte (LDI)1. On pense qu’elles ont pu passer sur l’Homme lorsqu’il est allé habiter à l’entrée des grottes. Elles y ont alors pris goût et l’ont ensuite accompagné lorsqu’il est parti fonder des villes et des villages. »
Évoquée dès le premier siècle avant notre ère dans les travaux d’Aristote, l’encombrante bestiole va interroger très tôt les scientifiques et s’inviter dans la littérature. « Il existe, la concernant, des écrits assez anciens, reprend Jean-Michel Bérenger. Elle n’y est pas désignée sous son nom mais on comprend que c’est elle dont il s’agit. C’est le cas notamment au Moyen Âge. À l’époque, on travaille sur la peste de 1720 et l’on évoque, à ce propos, la harde et la vermine, ce qui peut désigner aussi bien les poux de corps que la punaise de lit. » Il faudra cependant attendre le 18e siècle et la nomenclature binomiale2 du naturaliste suédois Carl von Linné pour mettre un nom, définitivement, sur ce petit insecte « homnivore » et particulièrement intrusif. Adieux, dès lors, la harde et la vermine et bonjour à « Cimex lectularius ».
L’ennemi enfin identifié, la problématique n’en reste pas moins la même : la punaise de lit, petit vampire qui se délecte de notre sang, possède cette désagréable manie de piquer pour se nourrir, empoisonnant ainsi notre quotidien. L’évolution progressive du niveau de vie et l’amélioration conjointe des conditions d’hygiène des habitats vont, dans un premier temps, grandement y contribuer. « Avant-guerre, tout le monde avait, ou avait eu, des punaises de lit, c’était quelque chose qui faisait partie de la vie, poursuit Jean-Michel Bérenger. Mais à l’époque, on ne s’en débarrassait pas vraiment, on essayait de les contrôler. J’ai eu l’occasion de parler avec une vieille dame qui me racontait que, pour s’en défaire, elle sortait régulièrement son lit en fer au milieu de sa cour. Elle roulait ensuite un journal, l’enflammait et passait le lit à la flamme. Il existait aussi des produits à cet effet, on appelait ça le fly-tox. »
« J’ai eu l’occasion de parler avec une vieille dame qui me racontait qu’elle sortait régulièrement son lit en fer au milieu de sa cour pour le passer à la flamme. »
Sur Terre, la punaise de lit est partout
Il faudra toutefois attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le recours massif au DDT3 pour que les hommes remportent leur première grande bataille contre lectularius. « C’était un insecticide formidable, s’amuse Jean-Michel Bérenger. Lorsque vous le pulvérisiez dans votre maison, il n’y avait plus rien : ni blattes, ni fourmis, ni punaises de lit. Conséquence, les populations se sont effondrées et lectularius s’est faite rare. Mais le problème du DDT, c’est que ça tuait tout… y compris vous, un petit peu. » Son interdiction par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1972 va rapidement ébranler ce tout nouvel ordre établi. L’explosion démographique de la population mondiale et la mutation en profondeur de nos modes de vie, beaucoup plus nomades, rouvriront pour de bon la voie à ces maudits insectes. « En 1950, nous étions deux milliards et demi. À présent, nous sommes plus de sept milliards, observe Jean-Michel Bérenger. En quelques années, la population mondiale a triplé. Et puis il y a eu l’ouverture au marché mondial, le développement du tourisme. Tout cela favorise les mouvements de populations. Or, comme nous sommes leurs hôtes, elles circulent avec nous… ».
Touchée mais pas coulée, lectularius l’opportuniste en a profité pour rependre vaillamment du poil de la bête. Et s’est invitée de nouveau dans nos intérieurs, sans notre consentement, pour venir perturber notre intimité. « Nous avons senti que le phénomène redémarrait au début des années 2000, explique Stéphane Bras, porte-parole de la Chambre Syndicale de Désinfection, Désinsectisation et Dératisation (CS3D). Depuis, il n’a cessé de grandir. Ces cinq dernières années, c’est allé crescendo et même si les punaises de lit sont davantage présentes lorsqu’il y a de fortes concentrations urbaines et touristiques, ce n’est pas pour autant qu’elles n’existent pas ailleurs. On les trouve en quantité moindre mais leur capacité de nuisance est identique. » Après avoir cru un temps à leur éradication totale, force est donc de constater que la cohabitation, contrainte et forcée, avec la punaise de lit est de nouveau à l’ordre du jour. Et toute tentative de notre part pour lui fausser compagnie semble irrémédiablement vouée à l’échec : présente partout où se trouve l’Homme, il n’est pas un lieu sur Terre, hélas, qui lui échappe.
« On a trouvé des punaises de lit dans l’île Tanna, une île perdue au milieu du Pacifique, détaille Jean-Michel Bérenger. Elles se fichent des conditions climatiques et supportent très bien la chaleur tant que les températures ne dépassent pas les 50 degrés. » Un constat d’autant moins engageant que lectularius la généreuse, non contente de coloniser des territoires qui lui étaient jusqu’à il y a peu inconnus, partage dorénavant son domaine, et ses proies, avec une cousine éloignée, Citus hemipterus, plus connue sous l’appellation de punaise tropicale. « Hemipterus est désormais présente en Europe : à Paris, à Marseille, en Italie, etc., atteste Jean-Michel Bérenger. Et c’est nous qui l’y avons amenée. » « Lorsque l’Homme voyage peu, hemipterus est plutôt dans les zones chaudes et lectularius dans les zones tempérées, renchérit le professeur Pascal Delaunay, parasitologue et entomologiste médical à l’Institut National d’Étude et de Lutte contre la Punaise de lit (INELP) et au CHU de Nice. Mais comme nous n’arrêtons pas de circuler, nous mélangeons tout ça comme des champions. »
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Notes
1 Le Laboratoire Diagnostic Insecte a notamment pour mission d’identifier les insectes et arachnides (araignées, acariens, scorpions, etc.) et de proposer des solutions pour les éliminer.
2 La nomenclature binomiale de Linné permet de désigner toutes les espèces animales et végétales grâce à une combinaison de deux noms latins.
3 Le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) est un puissant insecticide qui a été interdit, en partie du moins, en raison de sa neurotoxicité et du danger qu’il représente pour l’environnement.