Vers un retour de la poliomyélite ?

La maladie est officiellement éradiquée sur plusieurs continents. Mais ces derniers mois, des cas ou des souches de poliomyélite sont (ré)apparus en Angleterre, aux États-Unis et en Israël. Risquerait-t-on une épidémie planétaire ?
Par Delphine Bauer
Visuel (c) Mat Napo, Unsplash
En avril dernier, un vent de panique souffle sur Israël lorsque dix cas de poliomyélite sont officiellement recensés. Même crainte en Angleterre en mai, où le virus est retrouvé dans les eaux usées du nord de Londres. Dans l’État de New York, la découverte en juillet d’un cas de poliomyélite, et la présence du virus dans les égouts depuis lors, ont poussé les autorités à déclarer l’état d’urgence sanitaire. Vent de panique car si cette maladie, qui atteint le système nerveux, reste le plus souvent asymptomatique ou cantonnée à des symptômes bénins, peut entraîner la paralysie ou même la mort dans environ 10 % des cas.
Depuis 198, le nombre de cas de poliovirus sauvages (les souches historiques de poliomyélite, dont deux types sur trois ont été éradiqués) a baissé de 99 %, mais la maladie n’a pas disparu pour autant. « Une infection est éradiquée quand il n’y a plus de diffusion au niveau de la population, quand le réservoir du microbe a disparu », rappelle le Pr Sébastien Gallien, responsable de l’Unité fonctionnelle de maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Henri Mondor (Créteil). Or, il existe encore des niches du virus sauvage au Pakistan et en Afghanistan. Mais dans les pays dits développés, la poliomyélite avait disparu depuis des décennies.
Des traces silencieuses
Alors d’où proviennent les souches trouvées dernièrement à New York, Londres et Jérusalem, malgré une couverture vaccinale importante ? « Pour lutter contre la poliomyélite, il existe deux sortes de vaccins : les vaccins atténués, où le microbe a été modifié pour garder sa structure et donner l’information au corps afin de se défendre, mais a perdu sa virulence ; et les inactivés, où le virus est mort », précise le Pr Gallien. Le « risque » des vaccins atténués est qu’au fur et à mesure des transmissions – qui ne sont pas empêchées –, le virus retrouve sa virulence. « Même asymptomatique, la personne infectée excrète le virus dans ses selles pendant un mois en moyenne », explique Maël Bessaud, membre du laboratoire sur la poliomyélite de l’Institut Pasteur. Selon toute vraisemblance, les derniers cas provenaient donc « de souches vaccinales atténuées qui ont retrouvé leur virulence », estime le Pr Gallien.
Et il n’est pas étonnant que ce soit par le biais des eaux usées que les cas occidentaux se soient déclarés. « Une idée reçue est de croire que dans les pays riches, où le traitement des eaux usées est bon, on ne croisera pas le virus. Mais c’est faux, il peut circuler de façon silencieuse », tranche Maël Bessaud.
Cependant, que le virus circule ne signifie pas automatiquement qu’il va engendrer une forme grave de la maladie : pour cela, il faudrait encore qu’une personne soit en contact avec lui, qu’elle ait un terrain favorable pour en développer une forme grave (système immunitaire affaibli, enfants de moins de 5 ans) ou qu’elle ne soit pas vaccinée. « À New York, le cas s’est produit chez des juifs ultra-orthodoxes qui refusent la vaccination », précise ainsi Maël Bessaud. Par un contact avec une personne s’étant mal lavée les mains ? Avec une eau de baignade contaminée ? Difficile à dire, mais une chose est sûre, le virus se transmet de façon oro-fécale.
Un risque épidémique en France ?
« En France, on n’est pas à l’abri d’une importation du virus, à cause de la mondialisation des déplacements. Car que se passe-t-il pour les populations qui ne bénéficient pas d’un suivi médical, comme les migrants ou les Roms, et pour les personnes opposées à la vaccination ? », s’interroge-t-il. Pour autant, il ne craint pas d’épidémie dans l’Hexagone « car nous avons l’obligation du primo-vaccin et de la première dose de rappel », explique-t-il. Même sentiment du côté du Pr Gallien : « Nous sommes sept milliards d’êtres humains, de surcroît à l’heure de la globalisation. Il est prévisible qu’il existe des cas ponctuels. Au niveau individuel, c’est toujours une tragédie, bien sûr, mais au niveau collectif, il ne semble pas qu’il y ait un risque de contamination, dans la mesure où la population reste majoritairement vaccinée. En revanche, c’est le stigmate d’un relâchement de la couverture vaccinale », met-il en garde.
Pas de panique, donc : la prophylaxie [ensemble des moyens médicaux mis en œuvre pour empêcher les maladies, ndlr] existe avec un vaccin à refaire tous les dix ans. En bref : les efforts politiques et financiers des États doivent se poursuivre, afin d’éviter tout relâchement. Car la couverture vaccinale complète reste la meilleure protection contre les formes graves de la maladie, dans les rues de New York comme dans les montagnes afghanes.